“Je pense que le fascisme, malgré toutes ses rodomontades, est la conséquence de l’ébranlement et du déclin de l’économie capitaliste, et un symptôme de la décomposition de l’État bourgeois. Nous ne pourrons le combattre que si nous comprenons qu’il déclenche l’enthousiasme et l’approbation de larges masses sociales qui ont déjà perdu leur sécurité existentielle et, avec elle, toute foi dans l’ordre actuel”
– Clara Zetkin
Éric Zemmour a officiellement annoncé sa candidature à l’élection présidentielle le 30 novembre dernier. Se posant comme celui qui sauvera le peuple Français d’un avenir tragique, il incarne la candidature de celles et ceux qui théorisent le déclin et la fin de la civilisation européenne. Jouissant d’une forte médiatisation, l’extrême-droite tient désormais un autre candidat pour l’élection présidentielle. Si son ascension dans les sondages n’est pas certaine, il nous faut prendre avec sérieux et gravité la menace qu’il représente pour notre pays et son avenir. L’actualité de ces dernières années nous a suffisamment montré que certaines franges de l’État sont prêtes à aller plus loin dans l’autoritarisme: tendances factieuses des syndicats de police, tribunes de militaires appelant à affronter les « hordes de banlieue », vote de projets de lois liberticides. Aussi, le succès de Zemmour entre en résonance avec des dynamiques similaires observées dans d’autres pays comme aux États-Unis ou au Brésil, avec l’arrivée au pouvoir de figures comme Trump et Bolsonaro, qui ont réussi d’une part à bousculer les organisations de droite dites traditionnelles mais surtout à conquérir le pouvoir par les urnes. Comment de tels personnages peuvent-ils perturber ainsi le jeu politique? Comment comprendre cette ascension et les raisons d’existence d’une candidature comme celle de Zemmour ? A qui profite-t-elle ?
Un autre candidat du patronat
Zemmour représente une alternative pour certaines franges de la bourgeoisie. Il est sans conteste l’un des candidats en mesure de défendre les intérêts des capitalistes en mettant dans son programme des propositions ultralibérales telles que le recul de l’âge de la retraite à 64 ans, la baisse des impôts de production, les restrictions budgétaires sur les politiques sociales en privant notamment les étrangers d’accès aux aides sociales (RSA, APL, allocations familiales). Comme l’ont dévoilé de nombreuses enquêtes journalistiques, Zemmour est soutenu par plusieurs donateurs financiers. D’abord le groupe Bolloré qui a construit sa carrière médiatique. À la tête de son équipe on retrouve deux banquiers d’affaires passés chez Rothschild et ex-Fillonistes: Julien Madar, qui s’occupe de la levée de fonds et Jonathan Nadler du programme économique. En octobre dernier, Charles Gave, ancien soutien de Nicolas Dupont-Aignan et sympathisant de la mouvance identitaire, a réalisé un prêt de 300.000 euros pour financer la campagne de Zemmour. Plus largement il fait graviter autour de lui de nombreux jeunes, des entrepreneurs, des représentants de la bourgeoisie et des franges libérales.
Un candidat de l’ordre contre les mouvements pour l’égalité
C’est à la suite des grandes conquêtes démocratiques que s’organisent et se développent les mouvements les plus violemment réactionnaires, revendiquant, comme leurs noms l’indique, un retour à l’ordre antérieur. Notre période est marquée par d’importants mouvements pour l’égalité et la justice (notamment féministes, antiracistes) qui ont nécessairement conduit à des pertes de privilèges des classes dominantes. Ainsi, en toute impunité, il a pu défendre sur les plateaux télé des théories fascistes comme celle du « grand remplacement », agiter l’épouvantail de la « guerre civile » et assumer des discours sexistes, homophobes et révisionnistes. Lorsque de tels discours sont impunis, abondamment relayés et normalisés, des candidatures comme celles de Zemmour deviennent possibles voir même respectables. Depuis Sarkozy, les débats obsessionnels sur l’insécurité, l’islam, l’immigration, ont pris une tournure médiatico-politique inquiétante et tendent à devenir hégémoniques. Les quartiers populaires, dans lesquels vivent de nombreux citoyens de confession musulmane, font l’objet d’offensives particulièrement violentes sous couvert de rhétoriques néocoloniales. On parle de « reconquête républicaine » pour lutter contre la délinquance et la violence mais aussi pour défendre les droits des femmes et des minorités sexuelles. Est alors développée l’idée selon laquelle les droits des femmes sont menacés par la présence des hommes étrangers et qu’il faut donc, à ce titre, entrer en guerre contre “l’invasion migratoire”. Il s’agit là d’une rhétorique bien ficelée justifiant la suppression du droit d’asile, l’abrogation du droit au regroupement familial, la négation des droits aux migrant·es ou encore l’organisation d’ une « remigration ». Ces mesures signeraient la fin d’un Etat de droit et du respect des libertés fondamentales. Plus largement nous assistons à une répression et une criminalisation généralisée des antiracistes, féministes, écologistes et syndicalistes désignés comme ennemis de la Nation. Les projets de loi Sécurité Globale et Séparatisme défendus par le gouvernement s’inscrivent dans cette dynamique et entérinent de nombreuses dispositions liberticides. Elles ont aussi mis à nu les affinités idéologiques d’une grande partie de la classe politique autour des questions de maintien de l’ordre, de la répression des mouvements sociaux, des questions migratoires et de la stigmatisation des musulman·es. Dans les associations, les syndicats, le monde de la recherche, les rédactions, ces lois entravent directement les libertés de celles et ceux qui mettent en œuvre une activité contestataire ou critique vis-à-vis des institutions. Ainsi, le phénomène “Zemmour” n’est que le symptôme d’un mouvement réactionnaire puissant qui cherche à écraser les mouvements pour l’émancipation humaine, les libertés publiques et l’égalité réelle entre les humains.
Les jeunes sont-ils de plus en plus d’extrême-droite ?
Notre jeunesse est loin de se désintéresser de la politique puisqu’elle occupe une place centrale dans les mouvements sociaux actuels. Sous des formes d’engagement nouvelles, les jeunes ont investi les luttes pour la justice sociale et climatique, la démocratie et l’égalité civique. C’est aussi parmi les jeunes que l’on trouve des franges parmi les plus radicalisées et organisées du camp réactionnaire, à l’image des incels ou de Génération identitaire, Génération Z… À ce propos, de nombreux sondages affirment que le Rassemblement National serait le premier parti de jeunesse, ou du moins que celui-ci attire de plus en plus de jeunes. Il est certain que sur toute une série de questions, l’extrême-droite a su s’appuyer sur le complotisme qui se développe particulièrement chez les jeunes pour diffuser ses théories sur l’immigration, l’Europe, les minorités sexuelles… Ce sont notamment les petits groupuscules d’extrême droite de jeunesse, en maîtrise des enjeux de communication sur les réseaux sociaux, qui permettent la diffusion de ces thèses. Cependant, rien ne nous permet d’affirmer que l’électorat jeune d’extrême-droite connaît une massification.
En réalité, le véritable parti des jeunes est l’abstention. Lors des dernières élections présidentielles, l’abstention chez les jeunes avait atteint un niveau historique: elle était de 34% chez les 18-24 ans et de 40% chez les 25-34 ans. À contrario, l’abstention tombe à 19% chez les 60-69 ans et à 18% chez les plus de 70 ans. Plus généralement, quelque soit l’enjeux des élections, et bien que les élections présidentielles soient moins marquées par l’abstention, la jeunesse ne montre pas d’entrain particulier à participer à ce modèle électoral qui n’apporte pas de réels changements à leur quotidien. Car au-delà des programmes, c’est un nouveau modèle de société qui est revendiquée. Plus active sur les réseaux et donc plus réactive à agir, nous avons vu ces dernières semaines que des mobilisations spontanées pour la mémoire (le 17 octobre pour l’hommage aux victimes du 17 octobre 1961, la journée internationale de la mémoire trans, etc…), pour la justice (mobilisation contre les violences policières, mobilisation contre les violences sexistes et sexuelles, etc …) et contre la banalisation du discours d’extrême-droite qui traque chaque déplacement de Zemmour, comme nous avons pu le voir à Bordeaux ou encore Marseille et hier à Paris en poussant le candidat à changer le lieu de son meeting.
Bon nombre d’études ont démontré que l’engagement des jeunes est loin d’être éteint. Il a simplement trouvé de nouvelles formes d’expression comme le volontariat, l’utilisation des réseaux sociaux comme moyen de dénonciation ou de défense du changement social.
En partant de ce constat, la question est bien celle de la mobilisation des jeunes abstentionnistes autour de l’élection présidentielle. A quelques mois du premier tour, une grande partie de la jeunesse ne se retrouve pas dans les partis et encore moins dans les candidats déclarés.
Dans un contexte d’urgence, marqué par la crise sanitaire et la montée en flèche des idées réactionnaires, il est vital de permettre aux jeunes de s’organiser et de s’engager dans les luttes pour les libertés et contre les idées réactionnaires. Nous n’avons nul autre choix que celui de lutter pied à pied contre chaque offensive portée à l’encontre des mouvements de libération. Nous sommes de celles et ceux qui refusent un avenir sous le fascisme. C’est pourquoi, au travers de notre campagne, nous nous attellerons à œuvrer sans relâche pour le rassemblement de toutes celles et ceux qui souhaitent lutter contre l’extrême-droite et sa barbarie.
Manel Djadoun, porte parole de la campagne RED
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